Réhabilitation rejetée ?
J’oserais presque remercier la Cour de cassation, pour la délicatesse quelle a eu, de décaler de quelques jours, le rendu de sa décision prévu initialement, le 1er octobre, jour de l’exécution de Jacques Fesch.
La posture des magistrats de la Chambre criminelle, m’inflige une cruelle déception. Cette décision est sidérante et passe complètement à côté de l’opportunité de dire à quel point la peine de mort a quelque chose d’inique : considérer qu’un homme est à jamais irrécupérable…
L’arrêt rendu par la Cour de cassation, le 15 octobre 2024, à mon humble avis, me semble non conforme à l’article 2 de la loi 81-108 du 9 octobre 1981, portant abolition de la peine de mort, car Jacques Fesch en prison, et dans les, moins de six mois entre sa condamnation et son exécution, ne pouvait pas donner plus de « gages d’amendement » qu’il n’en a donné.
Comment définir un niveau d’amendement suffisant ?
Ce verdict exclut de fait, (à priori) et sans le reconnaître, toute possibilité de « réhabilitation » pour un condamné à mort, dont la peine a été exécutée. (Jacques fut bien condamné à mort le 6 avril et exécuté le 1er octobre de la même année.)
On lui a coupé la tête trop vite. Il n’a pas eu le temps de produire davantage de gages d’amendement et de surcroit dans des conditions très particulières.
Insuffisant nous dit l’avocat général !
L’idée était belle et humaine mais peut-être que la société n’est pas prête à accorder son pardon. En le réhabilitant, la Justice ne se serait pas déshonorée. Elle aurait aussi fait, que mort, Jacques Fesch obtienne ce dont, de son vivant, il a été injustement privé : une authentique justice. Comme le dénonce, Me Patrice Spinosi : « C’est une terrible occasion manquée. La Cour de cassation rate ainsi l’opportunité de rendre une grande décision humaniste sur le droit de tout délinquant, quel que soit son crime, de pouvoir s’amender. »
Une conception un peu étroite de la laïcité ! La Cour de cassation a bien sûr respecté le principe de distinction entre le spirituel et le temporel en considérant que la piété de Jacques Fesch était à exclure dans sa prise de décision. Et pourtant, séparation ne veut pas dire exclusion, comme on peut le voir aujourd’hui avec Notre-Dame de Paris.
Accepter ce verdict ce serait considérer qu’un homme est à jamais, irrécupérable pour la société.
En 2019, en envisageant une réhabilitation pour Jacques Fesch, je voulais, principalement, parler du lamentable déroulé de son procès, mais l’action engagée s’est dirigée, uniquement, sur les gages d’amendement que le condamné a pu produire. En s’orientant dans cette direction cela a permis à la Chambre criminelle de ne pas aborder les irrégularités scandaleuses dont Jacques Fesch a été victime lors de son procès.
Oui, le déroulé de son procès, en avril 1957, est entaché d’irrégularités que l’on s’est efforcé, et que l’on veut, encore aujourd’hui, taire. La Cour de cassation indique dans son arrêt : « Cependant, les circonstances dans lesquelles la peine a été prononcée et exécutée sont étrangères à l’appréciation des gages requis par l’article 2 de la loi précitée du 9 octobre 1981. »
Cette même Chambre criminelle, déjà, en juillet 1957, avait été saisie pour se prononcer sur le « tripatouillage » de la feuille de questions soumise au jury afin que soit refusé, à Jacques Fesch, le bénéfice des circonstances atténuantes, actionnant ainsi le couperet de la guillotine. Le verdict rendu était cinglant : « La Cour d’assises s’est prononcée, inutile de revenir sur cette décision rendue en toute conformité et légalité. »
Et pourtant, la peine de mort est une sanction absolue, qui exige, par conséquent une justice absolue. Ce qui ne sera jamais le cas et ne l’a surtout pas été pour mon père.
Je prends conscience que, 67 ans plus tard, rien n’a changé. Après tout, ce sont peut-être les mêmes magistrats qu’en 1957. Ils seraient restés, là, toutes ces années, assis sur leur séant, dans la pénombre poussiéreuse de leur chambre. On prend les mêmes et on recommence.
Je me souviens du ministre de la justice, Mr Pascal Clément qui m’avait reçu, en 2005, en son cabinet me disant : « On va vous accorder le droit de vous appeler Fesch, mais on ne veut plus jamais entendre parler de cette affaire, du déroulé de ce procès. Je compte sur vous ! Bien entendu, cher Monsieur, nous ne nous sommes jamais rencontrés… » (A l’époque, le président Chirac, avait fait le nécessaire auprès du renvoi en cassation, pour que je retrouve mon identité.)
Je vais bien sûr, maintenant, ignorer les exigences de Mr Clément et démontrer, point par point, les irrégularités qui ont été commises tout au long de ce procès, injuste, qui a conduit à l’horreur de la guillotine.
Je vais aller à l’essentiel et dire :
Que Jacques Fesch ne soit pas réhabilité, ne va pas changer ma vie. Qu’il soit, un jour béatifié, ne me concerne pas. Mais la façon dont il fut jugé, en avril 1957, doit être dénoncée.
Je demande à la Justice :
– Qu’elle reconnaisse que l’avocat des parties civiles, le principal accusateur, avait réussi à amalgamer la préméditation du meurtre de l’agent à celle de l’attaque du changeur ;
– Avoir modifié le vote des jurés afin de n’obtenir que des circonstances aggravantes ;
– La collusion entre le Président de la Cour d’assises et l’avocat de la partie civile. Ils dînent ensemble la vieille de verdict et l’avocat général, à cette même époque, défend le fils du président de la Cour d’assises condamné pour violences volontaires avec préméditation et détention d’armes et de munitions ;
– Que l’agent de police à bien tiré, conformément au rapport balistique de 1954, quatre balles. Une seule tirée par Fesch. ( ?)
Mon père ne méritait pas la guillotine car le meurtre de l’agent n’était pas prémédité. La perpétuité m’aurait convenu. Elle aurait été plus juste et m’aurait permis de découvrir ce père, mon père. J’aurais pu ainsi lui rendre visite, le connaître, savoir de lui, lui parler, l’entendre… De tout cela, par cette abusive et illégale décision, j’en ai été privé. Et pourtant, je reste, au même titre que la fille du gardien de la paix tué, une victime. Je ne suis pas responsable des actes commis par Jacques Fesch et je n’avais pas à en subir les conséquences.
Cela a eu pour effets que je devienne un gosse de l’Assistance, privé d’identité et placé successivement dans une douzaine de familles d’accueil. Je remplissais toutes les cases pour devenir, à mon tour un délinquant. Qui en aurait été choqué ? Personne ! Je les entends : « Il est de l’Assistance, c’est de la mauvaise graine, un fils de bandit, un voyou qui finira en prison. Et son père ? Sans doute en prison. C’est la fatalité ! »
Et si tel avait été le cas ? A qui la faute ? La société devrait s’interroger et prendre ses responsabilités car des milliers de jeunes connaissent cette même situation. J’ai juste eu, un peu plus de chance, que beaucoup d’autres.
Gérard Fesch