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Pourquoi vouloir réhabiliter Jacques Fesch ?

« La vie est une phrase dont on ne comprend le sens qu’à la dernière parole ! » Cette phrase de Gabriel-Honoré Marcel, s’applique parfaitement à la vie de Jacques Fesch et prend, avec lui, tout son sens.

Je souhaite la réhabilitation de Jacques Fesch afin que mort, il obtienne ce dont, de son vivant, il a été injustement privé : une authentique justice. 

Certains éléments, que l’on ne peut passer sous silence, traduisent, de manière non dissimulée, l’injustice infligée en direction de Jacques Fesch et composent les fondements de cette démarche en réhabilitation.

La façon dont Jacques alla à la guillotine impressionna tout le groupe de témoins habitués à des scènes bien différentes. Tous furent surpris par son calme, par l’attitude sereine qui transparaissait de tout son être. Après 1313 jours, enfermé à la prison de la santé, il refusa du gardien chef la cigarette et le verre de cognac…

A 5 heures 29, en ce glacial mardi 1er octobre 1957, la tête de Jacques (Georges Philippe) Fesch, à un peu plus de 27 ans, fut tranchée par la lourde lame d’acier actionnée par André Obrecht, l’exécuteur des hautes œuvres. Le transport du corps au cimetière d’Ivry suivit immédiatement la décapitation. Une demi-heure après sa mort, il était enterré dans cette bruyère désolée qui était destinée aux condamnés à mort, sans pierre tombale, sans nom ou numéro, sans croix.

Six mois après sa décapitation, son entreprenante belle-mère, Marinette, réussi à obtenir du Président de la République, sa dépouille mortelle. Ce fut une autorisation très exceptionnelle en elle-même et du point de vue de son objectif. Un enterrement religieux pour Jacques Fesch fut célébré, le 11 avril 1958, en l’église de Saint-Germain-en-Laye. Une foule nombreuse, recueillie, était présente. Après les funérailles, la dépouille de Jacques fut déposée au vieux cimetière de Saint-Germain, dans le caveau de ses beaux-parents. Caché par un buisson de myrte, son nom y est inscrit… 
Un professeur d’université (déjà évoqué).

Armand Jacob – ancien élève de l’École normale supérieure – agrégé de l’Université, avec un groupe de cent cinquante grands universitaires, avait adressé, le 24 septembre 1957, une pétition à René Coty pour lui demander d’accorder la grâce présidentielle à Jacques Fesch. Grâce refusée, indigné, il commença à contester, le 14 mars 1958, la condamnation à mort prononcée le 6 avril 1957.

« Nous ne connaissions la physionomie de Jacques qu’à travers un méchant portrait. Sans nul doute, il n’a jamais été vraiment mauvais, et il s’est élevé à la fin à une hauteur que ceux qui l’ont tué ne pourront jamais soupçonner. Nous n’arrivons pas encore à croire que c’est vrai, qu’ils ont osé… Depuis plus de cinq mois, je n’ai pas eu une bonne nuit de sommeil… »

« J’ai tenté et tenterai encore de dire quels sont les assassins, de mettre la société face à ce qu’on a fait en son nom. Je ne serai jamais capable, même s’il fallait que je le fusse, de penser à Jacques de sang-froid. Sans doute faut-il que tout soit fait pour sa réhabilitation. »

Il écrivit avec plus de vigueur le 23 février 1960 :

« J’ai le devoir de déclarer que Jacques Fesch, criminel par déroute et désarroi, a été totalement régénéré par un repentir exemplaire, qu’il est mort saintement (je connais la valeur de ces mots) et que son exécution capitale a été un assassinat légal. » 

Vouloir réhabiliter et béatifier un homme qui, à la suite d’un braquage raté tue un gardien de la paix – en présentant les choses ainsi, je comprends que cela puisse, pour le moins, choquer. Si l’on s’arrête à cette simple présentation, on ne voit pas ce qui a aussi son importance, et qui est sans doute, aujourd’hui, ce qu’il faut retenir : la transformation d’un homme, car comme le disait Me Dupond-Moretti : « Un homme ne peut pas être résumé à son crime. »

La réhabilitation judiciaire ne se borne pas à effacer et à éteindre les peines ; elle rend à l’intéressé son honneur et sa dignité. Sans effacer le mal, elle met en lumière le bien. Elle constitue un geste de restauration de l’individu qui s’apparente à un pardon laïque. Elle n’est pas la révision d’un procès bien que, pour le cas présent, cela aurait un sens.

Pourquoi : 

Le 6 avril 1957, jour de ses 27 ans, Jacques Fesch est condamné à mort par la Cour d’Assises de Paris au cours d’un procès retentissant, mais surtout tronqué. On ne peut pas rejuger Jacques Fesch mais certaines choses ne peuvent rester sous silence comme :

– Jacques Fesch n’a jamais prémédité de tuer le gardien de la paix, pourquoi n’a-t-il pas bénéficié de circonstances atténuantes? L’avocat des parties civiles, Me Floriot, le principal accusateur, avait réussi à amalgamer la préméditation du meurtre de l’agent à celle de l’attaque du changeur. D’où la peine capitale.

– Six questions portant sur les circonstances aggravantes donc déterminantes de la sentence finale sont posées aux jurés. Tous répondent par « NON ». Le Président de la Cour d’Assises raie les « NON » et les remplace par « OUI » et indique que Jacques Fesch aura la tête tranchée. (?)

– Il n’est pas abordé, au cours de ce procès, conformément au rapport de la balistique, que le gardien de la paix a tiré à quatre reprises en direction de Jacques Fesch. Une seule balle a été tirée par Fesch et atteindra mortellement le gardien de la paix. Pourquoi ce silence ? On peut tout de même s’interroger… L’agent de police, Jean-Baptiste Vergne, le somme de s’arrêter et tire…

– Jacques Fesch a agi par peur, par impulsion, davantage pour se protéger que pour tuer. Il confesse ne pas avoir vu distinctement l’agent de police. Complètement myope, il avait perdu ses lunettes dans sa fuite. Pourquoi fit-on disparaître l’imperméable avec la poche droite trouée, preuve qu’il n’avait absolument pas pu viser ?

– Le dîner des têtes : Jacques Fesch n’avait pas quitté le Palais de Justice, les mains chargées des chaînes de la mort, qu’une rumeur stupide, monstrueuse, impardonnable, courait les couloirs. M. Jadin, qui présidait la session des Assises, et Me Floriot qui plaidait pour le malheureux gardien de la paix auraient été vus, la veille du verdict, dînant ensemble dans un restaurant de la capitale, rue Git-le-Cœur, à quelques mètres du Palais de Justice. La rumeur sera confirmée. La tête d’un homme est en jeu et on trinque à sa santé. A noter que Me Floriot était à l’époque, le défenseur du propre fils du président Jadin, condamné le 7 novembre 1956 pour violences volontaires, détention et transport irrégulier d’armes et de munitions, à 200 000 francs d’amende par le tribunal correctionnel de Mâcon. Quoi d’anormal ?

Je sais que ces nombreuses interrogations soulevées ne seront pas du goût de tous, que certains ne verront dans mes questions qu’un vulgaire mouchardage. Au risque d’allier le goût de la vérité à celui du scandale, je ne souhaite rien d’autre que d’être démenti. Malheureusement, cela ne s’est jamais produit.

Les conditions dans lesquelles la peine capitale a été prononcée sont effrayantes. Les nombreuses circonstances atténuantes évoquées par Baudet (l’avocat de Jacques Fesch) furent toutes écartées. Les faits tels que l’établissait la méticuleuse et répétée instruction, consignés en procès-verbal ont tous été gommés, oblitérés. La cour d’assises a pourtant des règles, des exigences, des obligations, des devoirs. Le procès se doit de les suivre avec la plus grande rigueur. On ne juge pas, on n’engage pas la vie d’un homme sans solennité.

– Si Jacques Fesch n’était pas condamné à mort, les syndicats de police s’apprêtaient à lancer un mot d’ordre de grève pour la visite officielle, à Paris, d’Elizabeth II et du duc d’Edimbourg les 8, 9 et 10 avril 1957. Ces messieurs de la police réclamaient avec force et insistance une tête, la Justice leur a offert. La grâce présidentielle sera refusée. Le président de la République osera même s’adresser à Jacques Fesch par l’intermédiaire de son avocat en ces termes :

« Dites bien à votre client qu’il a toute mon estime et que je désirerais beaucoup le gracier, mais si je le fais, je mets en danger la vie d’autres agents de police. Demandez-lui, je vous en prie, d’accepter le sacrifice de sa vie pour la paix de l’État, pour que la vie d’autres gardiens de la paix soit sauvegardée. S’il le fait, je lui en garderai une reconnaissance infinie. Remerciez votre client pour l’homme qu’il est devenu. »

Comme si un homme devait payer pour les crimes de ses prochains. Et surtout à quoi cela a t-il servi ? A l’heure d’aujourd’hui il n’existe aucune preuve crédible que la peine de mort soit plus dissuasive qu’une peine d’emprisonnement. En fait, dans les pays qui ont interdit la peine de mort, les chiffres relatifs à la criminalité n’ont pas augmenté. Dans certains cas, ils ont même baissé.

Mr Francis de Baecque, auteur, ancien conseiller d’État et proche collaborateur du Président René Coty a publié, à la page 213 de son livre paru en 1991 aux éditions STH, « René Coty, tel qu’en lui-même » les propos suivants que le Président lui aurait confié à propos de la demande de grâce de Jacques Fesch.

« Il avait revu l’avocat Paul Baudet et son cœur était déchiré. Il n’en a pas dormi de la nuit et lorsqu’il a rejeté le recours, il a sans doute pris une des décisions les plus douloureuses de son existence ; le criminel avait tué un policier et il a pensé que l’intérêt supérieur de la société ne lui permettait pas de suivre, en l’espèce, ce que son sentiment lui dictait… » 

Jacques avait conscience qu’il devait servir d’exemple, il écrivait, le 1er février 1957 :

« La chose la plus terrible, c’est que ces jugements sont toujours plus ou moins influencés par des conditions extérieures, variables selon les époques, les cas semblables, les exemples à donner… » – « On a un peu l’impression d’être jugés pour des actes bien définis, situés dans leur environnement propre mais comme symbole d’une catégorie d’individus qu’il faut punir, exécutant cette punition sur la tête d’un coupable. »

Extrait de la lettre du 13 août 1957 du journal spirituel de Jacques :

« Toutefois, ce que je voudrais faire comprendre, c’est que cette mort m’est un sujet de joie, parce qu’il y a quelque chose que je puis donner : le sentiment que le châtiment qui me frappe est injuste dans le cadre humain où nous l’entendons. » – « Devant Dieu, je n’avais ni voulu, ni prévu les suites imprévisibles de mon premier acte. J’ai agi absolument sans conscience et par suite involontairement… »

L’extrait de cette lettre est saisissant et éloquent. Confession sincère de prise de conscience de Jacques Fesch face à son acte, presqu’un « serment devant Dieu ». Depuis que nous savons la façon dont son « rêve d’évasion » l’avait obsédé, et la manière dont l’agression s’est déroulée, nous pouvons le croire. Il ne voudrait certainement pas mentir face à Dieu, au fort de sa conscience, face au couperet.

Dans sa dernière lettre du 30 septembre 1957 il écrivait :

« On ne me tue pas pour ce que j’ai fait, mais afin de servir d’exemple et par raison d’Etat. Cela ressemble un peu à Caïphe proclamant : « Ne comprenez-vous pas qu’il est nécessaire qu’un seul homme meurt pour sauver les autres. »

Après avoir été présente tout au long du procès de Jacques Fesch, Hélène Malherbe, une jurée, s’est retirée de la discussion avant le vote sur la peine de mort car, dit-elle : « On savait par avance que le procès de Jacques Fesch devait servir d’exemple. Ma responsabilité m’apparaissait trop écrasante… » A distance du procès, à la suite de la sortie en 1972 de « Lumière sur l’échafaud » elle témoignera par écrit.

Un autre procès…

Le 12 octobre 1957, l’infatigable président Jadin, accompagné de son fidèle serviteur, Claude Sudaka dans le rôle de l’avocat général, juge Idel Bruned, auteur d’un crime. La cour est la même que pour Jacques Fesch. Les événements remontent à la nuit du 20 au 21 octobre 1954. Bruned, surpris alors qu’il dévalise une parfumerie, tue un policier. L’affaire rappelle étrangement celle de Fesch. Le 12 octobre 1957, mon père, grâce au président Jadin, a pris congé des vivants depuis onze jours. Son fantôme glacé hante encore les esprits et les excite. Bruned, a pour avocat, maître Charles Marcepoil, déjà présent lors du procès de Jacques Fesch en qualité d’avocat d’un complice de mon père. Me Marcepoil organise sa défense en s’appuyant sur le précédent Fesch, précisément. Il souligne l’expiation édifiante et exemplaire de celui que l’on vient de guillotiner. Témoin de sa mort, il dira : « Jusqu’à la seconde fatale où on le poussa sur la bascule, la noblesse exceptionnelle de son comportement, le calme de son visage et de son regard, parurent presque surnaturels. Ce garçon froid et insensible qu’on a vu aux Assises s’est transformé en un être pacifié par son désir de rédemption. » Il compare les deux têtes… Il a fort à faire, car aucune circonstance atténuante n’est retenue en faveur de Bruned. Pourtant, il réussit. L’avocat général, M. Sudaka, présent aux deux procès, estime que Bruned avait ajusté son tir et que son geste était encore moins pardonnable que celui de Fesch, puisqu’il n’était pas, lui, menacé par l’agent, (Le Monde du 7 octobre 1957). Le sang du récent guillotiné a-t-il étanché la soif de vengeance ? La peine de mort n’est pas requise. Idel Bruned sauve sa peau.

Dans l’extraordinaire odyssée de notre espèce, certains réussissent et d’autres échouent, tels des rats soumis à un test de laboratoire.

– Dans un contexte de profond patriotisme, encore un autre verdict « monstrueux » : celui de Jean Jaurès. Souvenez-vous, le 31 juillet 1914, Raoul Villain, tue de sang-froid, dans un acte prémédité, à bout portant, rue Montmartre dans le 2ème arrondissement de Paris, le leader socialiste. Au 5ème jour de son procès, le 29 mars 1919, l’assassin sera tout simplement acquitté. Comprenne qui pourra ! (?)

Pour Jacques Fesch, il est évident que ce n’est pas l’assassin ou plus justement le meurtrier (car il n’y avait pas préméditation), que l’on a guillotiné. Peut-être pas non plus le saint, mais en tout cas un homme transformé. Jacques Fesch avait compris qu’il devait servir d’exemple. Il se tourne alors vers Dieu pour se préparer à l’horreur, rédige des centaines de pages et accepte sa mort. Il écrira même « Que chaque goutte de mon sang serve à empêcher un crime. »

Ce n’est pas tant sa conduite exemplaire en prison, ni le fait qu’il n’ait jamais commis la moindre infraction avant d’être emprisonné qui m’interpelle, mais la résonnance de ses écrits, plus de 65 ans après son exécution.

Après tant d’années passées, il n’est pas tombé dans l’oubli. Loin de là. Je reçois très régulièrement de nombreux témoignages indiquant le réel soutien, l’aide incontestable qu’il apporte à bon nombre de personnes (croyants ou non), cherchant un sens à donner à leur vie ou tout simplement marquées par son parcours, sa rédemption, son acceptation de la mort. Il nous délivre un message, une force de vie. Il nous montre que la seconde chance, celle qu’il n’a pas eue, existe.

Ou notre société reste à l’état de la loi du talion, ou elle est civilisée et admet la possibilité d’un rachat.

Le chanteur Michel Delpech, par son témoignage, en est un très bon exemple. Il m’écrivait en juin 2015 :

« Votre père est véritablement un saint et je comprends les intentions de l’Église de vouloir le béatifier. J’espère que vous cheminerez vers la reconnaissance de vos droits, de votre identité et vers le chemin qu’il a si magnifiquement emprunté. Tenez-moi au courant.

Votre ami, Michel Delpech. »

Bien des années plus tard, André Hirth, son voisin de cellule, rangé des voitures, dira :

« J’ai tiré un trait sur tout ce passé, sauf sur Jacques. Voilà ce qu’il est devenu : un homme traversé par la miséricorde, un homme dont on n’aurait jamais fait un ami devient un modèle de vie. »

Le cardinal Lustiger considérait Jacques Fesch comme un modèle de rédemption par la foi – d’où sa volonté de vouloir le béatifier. Les motivations de l’Église à entreprendre une telle démarche sont sans doute légitimes, mais me sont étrangères. En revanche, le déroulé de son procès, son acceptation de donner sa tête pour la paix de l’État, l’impact réel de ses écrits sur le monde actuel (laïque et religieux), l’homme qu’il est devenu, le chemin parcouru, m’incitent à demander à la Justice Française une forme de pardon républicain. Une réhabilitation.

Si je formule cette demande de réhabilitation, ce n’est pas pour moi, mais uniquement pour Jacques Fesch. Si cette requête aboutissait, elle n’aurait qu’une portée symbolique pour mon père mais serait, ô combien précieuse, dans le combat contre cet archaïsme barbare qu’est la peine de mort. Si un condamné à mort, exécuté, était réhabilité ce serait possiblement aussi contribuer à agir en faveur de l’abolition universelle de la peine de mort prônée par Robert Badinter. 

Pour que l’histoire retienne aussi l’exemplarité, le don de soi, le sacrifice, la rédemption, savoir que tout homme peut se repentir, se racheter et devenir meilleur.

Pour que mes petits enfants découvrent aussi l’autre face, plus lumineuse, celle-là, de la vie de leur grand-père.

Pour dire aussi que Jacques Fesch n’est pas Landru et lui redonner, à titre posthume, une certaine estime. Tout en formulant cet espoir, j’ai, et ce depuis la découverte de mes origines en avril 1994, une pensée infiniment respectueuse envers Marie-Annick, orpheline à l’âge de 4 ans par la faute de mon père. 

Pour le cas présent, l’homme que l’on guillotine n’est plus l’homme que l’on emprisonne.

La peine de mort, sanction absolue, exigerait une justice absolue, ce qui n’a pas été le cas pour Jacques Fesch.
Cette injustice doit être reconnue.